FALSETAS
Yardani Torres
& Marc Crofts
photo: Nicolas Bruant

En flamenco, une falseta est une brève section instrumentale, généralement assurée par la guitare, entre les parties chantées.

Le violon n'étant ni tout à fait une voix, ni tout à fait une guitare, comment peut-il exister par lui même dans le monde du flamenco?

Jouer du flamenco à deux violons, c'est le défi que se sont lancé Yardani Torres Maiani et Marc Crofts. En passant par une étude et une déconstruction des éléments propres à cette musique, les deux musiciens tentent de mettre en place une véritable grammaire du violon flamenco.

Le duo propose un programme de compositions originales, fermement ancré dans des formes traditionnelles, tout en utilisant des moyens contemporains.

FALSETAS c'est la rencontre du violon et du flamenco, mais ce sont aussi les regards croisés de Yardani et de Marc, et le dialogue entre leurs visions, nourries respectivement par la musique classique et par le jazz.

Enfin, ce projet s'accompagne d'une volonté de transmission, avec une recherche autour de la question de l'écriture du flamenco, tradition a priori orale.

Concerts passés :
La Courroie - Entraigues · Festival de Chaillol · Festival Détours de Babel · Creative Strings Festival · Festival Stravinsky · La Marbrerie - Paris · Festival d'Avignon · etc.

Falsetas est un projet multi-facettes qui comporte plusieurs volets, indissociables les uns des autres :
  • Recherche musicologique / laboratoire compositionnel
  • Concerts
  • Pédagogie : cours et masterclasses
  • Production discographique
  • Édition de partitions

Marc et Yardani : vision commune et complémentarité artistique

Le choix de cette association artistique repose en premier lieu sur un même désir : aborder le flamenco avec respect et curiosité, en explorant sa richesse à travers le prisme du violon et d’une approche musicologique attentive.

Les violonistes qui forment ce binôme, tous deux d’origine suisse, partagent un lien profond avec la culture flamenca, dont ils se reconnaissent comme héritiers : Marc, de par son ascendance judéo-andalouse, et Yardani, par son ascendance gitano-andalouse.<7p>

Formés tous deux à la Haute École de Musique de Lausanne, Marc au sein du département de jazz et musiques actuelles, et Yardani dans le département classique, ils partagent un parcours académique parallèle qui, complété par de nombreuses expériences musicales, a nourri leur deux visions complémentaires.

Leur rencontre a mis en évidence un besoin : construire la place du violon dans ce contexte de manière humble et sincère, en confrontant et croisant les différents outils musicologiques disponibles.

À eux deux, ils cristallisent un large éventail d’influences — jazz, musique classique, contemporaine, improvisation, musiques du monde, klezmer, orientales etc. — et la confrontation de leurs idées a été le moteur du projet. Cette dynamique crée un véritable garde-fou mutuel, où chaque approche enrichit et questionne l’autre, permettant de pousser les intentions artistiques plus loin.

Enfin, guidé par un regard pédagogique et une écoute mutuelle, ce duo fait de la transmission un prolongement naturel de sa recherche. Leur collaboration devient ainsi un laboratoire vivant, un lieu où s’articulent apprentissage, expérimentation et création autour du flamenco.

Une temporalité de maturation lente et maîtrisée

Le travail du duo, initié en 2019, s’inscrit dans une temporalité longue et réfléchie, nourrie par les échanges informels et expériences musicales qui remontent aux années de formation commune à la Haute École de Musique de Lausanne. La progression a été volontairement lente, permettant aux idées de se cristalliser et à la technique de se développer en profondeur avant d’être rendue publique. Cette approche, éloignée des tendances actuelles de communication rapide, garantit un travail mûri, solide et fidèle à l’esprit du flamenco.

La falseta, ou la forme idéale pour les objectifs du projet

Pour comprendre le projet Falsetas, il est essentiel de saisir deux notions fondamentales du flamenco : la falseta et le palo.

En flamenco, une falseta est un interlude instrumental qui intervient entre les parties chantées. Cette forme caractéristique du genre a la particularité d’exprimer tous les principaux aspects musicologiques du palo abordé. La falseta se présente comme une micro-composition autonome : courte et concise, elle est néanmoins structurellement complète, avec une forme et une évolution définies. Par sa brièveté, elle permet d’ancrer profondément l’auditeur dans le style du palo traité, tout en respectant ses normes et codes.

Le palo, au sein de l’esthétique flamenca, désigne un style musical précis, caractérisé par une structure rythmique, des motifs mélodiques et des codes expressifs particuliers. Chaque palo possède son identité propre et détermine les règles que la musique et le chant doivent respecter.

Dans le cadre du projet Falsetas, la falseta constitue la forme idéale pour atteindre les objectifs artistiques et pédagogiques : elle permet d’explorer chaque palo de manière autonome, tout en respectant la tradition flamenca, et de construire un répertoire progressif qui conjugue rigueur stylistique et développement technique du violon. Chaque duo de violons devient ainsi un espace de recherche et d’expérimentation, fidèle à l’esprit du flamenco et adapté aux ambitions contemporaines du projet.

Une visée encyclopédique

Le projet poursuit une ambition encyclopédique : embrasser l’ensemble des styles de flamenco existants et les mettre en parallèle avec d’autres traditions musicales et influences diverses. Cette approche exhaustive permet non seulement de documenter la richesse stylistique du flamenco, mais aussi de créer un répertoire et des ressources qui serviront de référence pour la pratique, la recherche et l’enseignement.

Le choix de l’instrumentation

Le projet Falsetas repose sur un choix délibéré et fondamental : l’utilisation exclusive de deux violons. Cette instrumentation singulière répond à plusieurs objectifs.

D’une part, elle permet de restituer l’ensemble des éléments musicologiques et stylistiques du flamenco — rythme, harmonie, phrases mélodiques, nuances et inflexions typiques — sans recourir à aucun instrument d’accompagnement. Chaque violon doit assumer la totalité de la musicalité, faisant du duo un véritable laboratoire d’exploration instrumentale. Ce dispositif exigeant garantit la cohérence et la pureté de l’expérimentation musicale. Il force les interprètes à développer des stratégies inédites pour transmettre toute la palette émotionnelle et stylistique de la tradition flamenca.

D’autre part, ce choix historique et technique permet de mettre en évidence la capacité du violon à exister par lui-même dans le flamenco et de tenter de construire une grammaire propre à l’instrument.

Continuité historique et musicologique

Falsetas repose sur une réflexion approfondie sur l’histoire du violon dans le flamenco. Les instruments à cordes, dont le violon, étaient présents autrefois dans les orchestres arabo-andalous et les ensembles pré-flamencos, mais leur usage a progressivement disparu, notamment avec les interdictions imposées à la Reconquista, qui favorisaient la guitare. Aujourd’hui, le violon survit principalement dans certaines traditions locales, comme les verdiales de Malaga. Cette approche historique et musicologique permet au duo de replacer le violon au sein d’une tradition réinventée, en conciliant fidélité à l’héritage et expression contemporaine.

Une dimension didactique intrinsèque

Le duo de violons est historiquement indissociable de la relation maître/disciple et s’inscrit ainsi dans une tradition qui lui a longtemps conféré une dimension didactique. À quelques exceptions près (duos de Leclair, etc.), il faudra attendre le XXᵉ siècle pour voir apparaître des œuvres pour deux violons réellement destinées au concert. Souvent sous forme de recueils, ces duos permettent une approche ludique et progressive de difficultés bien identifiées. On peut ainsi citer les 101 pièces faciles et progressives, op. 20 de B. Campagnoli ou les Douze petits duos faciles, op. 83 de Charles de Bériot.

Une dimension initiatique (sur les pas de Bartok)

En 1931, Bartók écrit 44 duos progressifs destinés, selon ses mots, à ce que « les élèves puissent, dès leurs premières années d'études, jouer des œuvres dans lesquelles se trouve la simplicité naturelle du peuple et aussi ses particularités mélodiques et rythmiques ». Bartók confère à ce recueil, outre l’étude stylistique et technique, une dimension initiatique. En effet, il invite l’étudiant à une approche progressive de son instrument, parallèlement à une étude de style. Comme J. S. Bach avant lui, des éléments issus de musiques populaires sont stylisés dans l’objectif de renforcer progressivement sa technique instrumentale ainsi que la familiarisation aux différentes formes. Comme de nombreux compositeurs après Bartók, Falsetas s’inscrit dans cette même volonté d’étude de style et de progression technique.

Une logique de projet durable et évolutif

L’ensemble des volets — concert, production discographique, édition de partitions et pédagogie — constitue un projet structuré mais évolutif. Sa temporalité lente, sa visée encyclopédique et son approche progressive assurent à Falsetas une durée et une portée sur le long terme, permettant d’alimenter de nouvelles recherches, collaborations et expérimentations dans le domaine du flamenco.

photo: Alexandre Chevillard